dimanche 7 mars 2010

Le temps qui passe...


Le ciel est par-dessus le toit

Le ciel est, par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.


La cloche, dans le ciel qu'on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l'arbre qu'on voit
Chante sa plainte.


Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.


Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
Verlaine. Sagesse.

samedi 6 mars 2010

"Tout être qui a vécu l'aventure humaine est moi"

C'est inspirée par les mots de Flaubert dans sa correspondance, « Les dieux n’étant plus, et le Christ n’étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc-Aurèle, un moment unique où l’homme a été seul », que Marguerite Yourcenar, première femme à l'Académie Française, entreprit le projet de grande ampleur de définir puis peindre « cet homme seul et d'ailleurs relié à tout ». C'est ainsi qu'elle élabora au terme d'une recherche minutieuse et d'une lente maturation de près de 30 ans, Les mémoires d'Hadrien (1951), roman historique et philosophique sur la vie de l'empereur Hadrien.

L'originalité de la démarche de ces mémoires fictives écrites à la première personne sous la forme d'une lettre à Marc Aurèle, petit fils adoptif d'Hadrien, fait de ce travail à travers le temps un monument de la littérature française. Dans son carnet de notes, Marguerite Yourcenar décrit son projet comme le « portrait d'une voix » avec « un pied dans l’érudition, l’autre dans la magie », « dans cette magie sympathique qui consiste à se transporter en pensée à l'intérieur de quelqu'un ». Ce projet fut mainte fois abandonné, remanié, repensé, nourri de ses recherches, de ceux qu'elle nomme ces « collaborateurs bénévoles » et de ses voyages et séjours d'imprégnation dans la ville de Rome. L'ouvrage acquiert ainsi une intensité réaliste, à la fois ancrée dans l'histoire et intemporelle.

C'est avec un style incomparable, précis et chatoyant, que l'écrivain s'engage dans ce roman historique. Marguerite Yourcenar évite l'écueil d'une appropriation excessive du personnage «Si j'ai choisi d'écrire ces Mémoires d'Hadrien à la première personne, c'est pour me passer le plus possible de tout intermédiaire, fût-ce de moi-même » et trouve un ton juste avec un positionnement entre la démarche distanciée et documentée de l’historien et une interprétation humaine et personnelle du personnage. Marguerite Yourcenar se doit de convenir que bien que s'efforçant d'être le plus proche possible de son personnage, elle ne peut totalement disparaître. Ainsi écrira-t-elle: "Quoi qu'on fasse, on reconstruit toujours le monument à sa manière. Mais c'est déjà beaucoup de n'employer que des pierres authentiques". C'est cette sincérité dans sa démarche qui résonne dans tout le livre.

Marguerite Yourcenar érige le portrait d'un homme exceptionnel, ainsi convient-elle :« Si cet homme n'avait pas maintenu la paix du monde et rénové l'économie de l'empire, ses bonheurs et ses malheurs personnels m'intéresseraient moins ». Hadrien est une figure historique fascinante tant par sa personnalité mythique d'empereur humaniste, philosophe pacifiste, amoureux des lettres et des arts, qu'à ses oeuvres de pacification et de stabilisation de l'Empire. L’homme et l’empereur ne font qu’un: Hadrien entend laisser ses principes de vie tels l’austérité, l’altruisme, et le sens de la justice, guider sa pratique du pouvoir. Lors de son ascension au pouvoir, juste après la mort de Trajan, les propos que l'auteur lui prête « ma propre vie ne me préoccupait plus : je pouvais de nouveau penser au reste des hommes » résument le dévouement de l’empereur à son empire et aux hommes.

Avec ce regard rétrospectif sur sa vie, tant sur son éducation et son accession au pouvoir que sur son oeuvre politique, Hadrien revient également sur son cheminement spirituel et métaphysique au sujet de la vie, l'amour, le pouvoir, la mort... L'homme est ainsi dessiné dans toute sa lucidité, lucidité de l'homme de pouvoir qui règne, de l'amant qui aime, de l'homme qui vieillit, qui doute, qui espère.

La force du roman se trouve dans le portrait de cet empereur qui est avant tout un homme, dans toute la mesure de ses paradoxes et de ses faiblesses... « Plus j'essaie de faire un portrait ressemblant, plus je m'éloigne du livre et de l'homme qui pourraient plaire ». L'Empereur Hadrien est un homme seul, vaincu par le temps et qui « commence à apercevoir le profil de sa mort ». C'est en parlant de cet homme « presque sage » que Yourcenar donne toute leur intensité à ces mémoires. Avec une réelle rigueur dans son entreprise mais sans prétention à la vérité historique absolue, Marguerite Yourcenar sait puiser dans une qualité essentielle de tout homme, qui toujours permet la communion entre les individus, au delà des siècles: son humanité. Ainsi peut-elle affirmer: « Tout être qui a vécu l'aventure humaine est moi ».

jeudi 4 mars 2010

"Y a un village, ça ressemble à la mer..."



Un extrait d'un film d'animation magnifique, Le voyage de Chihiro, de Hayao Miyazaki avec une musique de Joe Hisaishi.
Un vrai moment de poésie...

mardi 2 mars 2010

Le mystère Bovary

Son nom est Emma Bovary et son histoire est bien connue. Mais qui était-elle exactement?

Fille d'un fermier, Emma Rouault a passé sa jeunesse dans un couvent. Elle découvre alors le plaisir de la littérature et devient une ardente lectrice des romans sentimentaux qui nourriront ses rêves.

Vivant dans un petit village, Tostes en Normandie, avec son père, elle rencontre Charles Bovary, un médecin de campagne et l'épouse. Elle pense alors que s'ouvre devant elle une vie pleine de passion et de grandeur...Mais bien à l'opposé de ses rêves, elle se retrouve engluée dans une vie de province où rien ne se passe jamais.

Emma Bovary est une belle femme, une peau pâle, des cheveux sombres, et d'élégantes manières. Elle a bénéficié d'une bonne éducation, sait comment jouer du piano... Son plus grand malheur est cet ennui terrible qui la saisit et lui fait perdre pied, la plongeant dans une profonde dépression. Prisonnière de son mariage avec un “médiocre” docteur de campagne sans aucune ambition, immobilisée dans la banalité d'une vie provinciale, elle aspire à la passion et cherche à s'évader dans les fantaisies des romances, allant même jusqu'à l'adultère.

Moralement inapte à accepter et apprécier les réalités de la vie, Emma ne reconnaît jamais l'irrationalité de ses désirs. Elle rêve du plus pur, du plus inaccessible amour et des plus belles richesses pour sa vie. Elle se révolte émotionnellement contre cette société qui rend ses rêves impossibles à atteindre. Malheureuse dans cette vie simple et ordinaire, elle tente d'assouvir ses fantaisies dans des aventures amoureuses avec Rodolphe, propriétaire terrien puis avec Léon, clerc de notaire. Mais même ces amourettes ne lui apportent que désillusions et déceptions. Abandonnée par ses amants, Emma ne se relèvera pas.

L'incapacité d'Emma a accepter sa situation et sa tentative de fuite par l'adultère causent sa perte et par là même, celle de ses proches. Décidant de mettre fin à ses jours, Emma se suicide et dévaste le monde qui l'entoure, laissant derrière elle ceux qui l'aiment. Inconsolable, son époux, brave Charles, cocu naif mais sincèrement amoureux, découvrant la trahison de son amour, se laisse mourir de chagrin. De même, elle laisse seule son seul enfant, Berthe, victime innocente de la froideur et l'indifférence de sa mère, qui finira ouvrière dans une usine de coton, du fait de la ruine de la famille provoquée par les dépenses d'Emma et son suicide.

Mais la faille d'Emma n'est pas uniquement la sienne. Son personnage illustre par quelles différentes façons les circonstances déterminent la position des femmes au XIX ème siècle. Son insatisfaction face à la société bourgeoise dans laquelle elle vit est justifiée. La détresse d'Emma est emblématique des difficultés que rencontre toute personne sensible de bonne éducation aux prises avec la bourgeoisie française de l'époque. Le statut de femme d'Emma a un effet bien plus déterminant sur sa vie que son seul statut social. Emma est fréquemment décrite à travers le regard des hommes: le regard de son mari, celui de Rodolphe, de Léon. Le seul pouvoir d'Emma dans sa vie et sur sa vie se trouve limité par le contrôle de son époux, de sa belle mère, de la société tout entière... 


Pour résumé, Mme Bovary est une femme du XIXème siècle. Amoureuse de l'amour, elle vécu d'illusions. Elle fut infidèle et ruina son ménage. Désespérée, elle se tua en ingérant de l'arsenic. Une vraie héroïne jusqu'au bout. Les mots de Flaubert “Madame Bovary, c'est moi” ont d'abord été considérés comme une évocation de l'inclinaison qu'il partageait avec son personnage pour la romance, les fuites sentimentales de l'imagination et la mélancolie. Pourtant, Mme Bovary pourrait bien être le reflet des pensées de Flaubert sur la condition féminine de son époque, l'incarnation de l'émergence d'un véritable esprit féministe.

lundi 1 mars 2010

"God gives us our relatives..."

"...Thanks God we can choose our friends". Ethel Mumford.

Mary et Max, film d'animation en pâte à modeler de Adam Elliot qui étonne par ses teintes grises avec simplement quelques éclats de couleurs, ses personnages singuliers mais très expressifs et sa très bonne bande son, est une grande réussite.

C'est l'histoire d'une correspondance étonnante entre deux personnages atypiques et attachants: Mary, petite fille solitaire de 8 ans, vivant en Australie, complexée par une tache de naissance sur le front, affublée d'une mère alcoolique, d'un père taxidermiste et d'un coq de compagnie, mais grande amatrice de lait concentré... et de Max, un juif quadragénaire vivant perclus dans son appartement de New-York, obèse, friand de hot-dog au chocolat et souffrant de la maladie d'Apserger. 


Pendant plus de 20 ans et malgré la distance qui les sépare, leur relation épistolaire célébrera l'amitié et ses aléas. Les années passant, l'une devenant adulte, l'autre devenant vieillard, les deux amis partagent à travers leurs différences, les fêlures de leurs vie, leurs défauts et leurs espoirs. 


Mary&Max est à la fois poésie sombre, humour désespéré et tendresse mélancolique. Véritablement décalé, ce film doux amer nous conte histoire de deux laissés pour compte, avec une profonde humanité, à l'image de la vie, pleine d'absurdité et de joies simples. 

samedi 27 février 2010

The time that remains

Fortement autobiographique, Le temps qu'il reste d'Elia Suleiman est l'histoire d'une famille palestinienne dans sa vie quotidienne à Nazareth, ville des territoires occupés par l'armée israélienne. Conçu à partir des carnets personnels de son père et des lettres que sa mère envoyait aux membres de la famille expatriés, le film, présenté au Festival de Cannes en 2009, évoque la tragédie palestinienne à travers ce récit familial en 4 temps. De la guerre de Palestine (1948) à nos jours, au rythme des arrestations et des Intifadas, à travers des saynettes burlesques, aussi cocasses que banales, Suleiman parle de lui et de sa famille, « Arabes-israëliens », restés en minorité sur le territoire qui était le leur.

D'une grande beauté esthétique, dans un silence grave, Le temps qu'il reste joue avec les détails et les symboles et crée des instants de véritable poésie emplis de tristesse. Sauter à la percher par dessus le mur, organiser une soirée malgré le couvre-feu, parler au téléphone dans la rue en ignorant le canon du tank pointé sur soi... Autant de rêves et de révoltes, transmis de génération en génération, contre cette occupation israëlienne omniprésente. Celui qui est à la fois absent et présent, témoin qui ne dit mot, exilé sur le chemin du retour, Suleiman lui même hante le film de ses souvenirs et transmet toute la douce amertume de ces situations, intimes et historiques, sans jamais perdre son calme, ni son humour. Un beau film, à voir et à méditer.

vendredi 26 février 2010