Le très beau film
Into the Wild de
Sean Penn, qui a eu la bonne idée de passer derrière la caméra, ne laisse pas indifférent. L'histoire de ce grand Meaulnes américain en quête d'absolu envoûte tant par ses paysages et sa musique, que ses questionnements sur notre monde et nos existences.
Christopher McCandless, jeune diplômé brillant et plein d'avenir, décide brusquement de tout plaquer, ses études, sa famille et tout ce qu'il possède, pour gagner les grands espaces. Mais que fuit-il exactement? Comme sa soeur (en voix off) nous le dévoile peu à peu tout au long du film, c'est la colère qui guide ses pas, cette rage douloureuse contre ses parents qui l'ont trahi et déçu. Et à travers cet idéal parental brisé, c'est toute la société, celle à laquelle ils adhérent, matérialiste et superficielle, pleine de besoins artificiels, qu'il rejette. Mais que cherche-t-il? Qu'espère-t-il trouver au bout de son voyage?
Au cours de la quête existentielle et spirituelle qu'il entreprend, Christopher devient Alexander Supetramp. Avec Thoreau pour banière, le jeune homme cherche la liberté, la beauté, la vérité... "Rather than love, than money, than faith, than fame, than fairness... give me truth". C'est un retour à l'essentiel, à l'instant, ici et maintenant. Idéalisme naïf et sans concession, furieuse nécessité de trouver un apaisement, désir démesuré de liberté, Alexander nous entraîne dans son périple et nous fait rêver dans ces paysages sauvages (et sublimes) d'Amérique jusqu'aux confins de l'Alaska. Habité par les pensées de ses écrivains fétiches, vagabonds et naturalistes, tels London, Byron (« I love not man the less, but Nature more."), ses rêves pour tout bagage, Alexander entame un voyage au delà de toutes limites, presque irrationnel. Car "Si on admet que la vie humaine peut être gouvernée par la raison, alors toute possibilité de vie est détruite..." disait Léon Tolstoï, un autre de ses modèles...
Mais extrémiste dans sa démarche, Alexander devient moraliste dans sa quête d'absolu. Malgré les rencontres sur son chemin, les nombreuses mains tendues, et tout l'amour de ces échanges, le héros restera jusqu'au bout persuadé que la vie est dans l'expérience de toutes choses, et surtout dans l'expérience de la nature, « alone into the wild ».
Pourtant ce retour à Mère Nature (qui est loin d'être si amicale) et à l'état le plus sauvage, le plus primaire de l'homme, cette obsession de se trouver soi même, et l'essence même de son existence, souffre finalement d'un manque certain d'humanité. Où est l'amour? Où est l'amitié? Où est le partage? Si sa famille n'était pas parfaite (mais quelle famille l'est?), ne l'a-t-elle pas pour autant aimé? Que peut-il apprendre de plus seul dans une nature où chaque instant doit être consacré à soi et sa propre survie?
Finalement « trapped in the wild » quand la leçon est comprise, quand enfin, dans le dernier chapitre, notre héros "accède à la sagesse", il est déjà trop tard. Au bout de son voyage, au bout de sa colère, terrassé par la réalité des choses, Supertramp devra « appeler chaque chose par son vrai nom » est redevenir un homme comme un autre devant ce simple constat: Le bonheur ne vaut que partagé.
Alors qu'il semblait avoir sauté des pages, le jeune homme redécouvre alors Tolstoï et la recette du vrai bonheur. « J'ai vécu beaucoup de choses et je pense maintenant avoir trouvé ce qui est nécessaire au bonheur. Une vie calme et isolée à la campagne avec la possibilité d'être utile aux autres... Et enfin plus que tout le reste, toi pour compagne, et des enfants peut-être. Que peut désirer de plus le coeur d’un homme? »